Octobre revient, avec son lot de tristitude automnale, de rentrées scolaires, de guerres, de lois qui ne viendront jamais, ses feuilles rouille et feu, ses nouvelles émissions télévisées et son lot d’immondices.
Après avoir traversé un mois de septembre pourtant agréable, nonobstant les éructations vulgaires, crasseuses et nauséabondes de certaines personnalités politiques – pas de lien pour cela, nous parlons déjà de caca, nous n’allons pas non plus vous permettre d’assouvir votre voyeurisme dégoulinant. Si vous avez manqué l’épisode, ne vous en faites pas, vous n’avez, en réalité, rien manqué du tout, bien au contraire.
Topless
Un an après la grosse grève des pilotes de l’an dernier, quasiment jour pour jour, voici que, me levant de petit matin, chanceux que je suis de ne pas avoir la télévision dans mon petit pied-à-terre en Albion, que ne m’aperçois-je pas de la récurrence, répétition, redondance quasi pléonastique (je m’emporte) des Unes de ce jour. tournant autour d’une sombre affaire de vêtement déchiré. Peu à jour en termes de mode, excusez du peu, que ne m’empressais-je donc de lire ces nouvelles, pensant avoir vu là un renouveau de l’excellent Full Monty. Après tout, outre la presse française, nos amis du Telegraph, du Financial Times, de Bloomberg… s’empressent de reprendre en chœur le refrain de la condamnation de la violence faite à un cadre d’Air France qui s’est vu houspillé, alpagué, et malmené. Xavier Broseta, DRH de la société, et Pierre Plissonier, directeur d’Air France Orly, ont été « violemment pris à partie par des salariés », nous raconte le HuffPost.
Fort bien.
L’image tourne en boucle, nous montrant, ainsi, un homme seul – deux, excusez du peu – poursuivi par une foule en délire. L’on imagine, rêveurs que nous sommes, la créature de Frankenstein chassée par ces villageois en raison de sa laideur, pourtant n’ayant qu’une envie, se lier avec les Hommes. L’on revoit Peter Lorre hoquetant face à la pègre assemblée face à lui, vomissant ses démons et près d’être déchiqueté par les mafieux. L’on entraperçoit peut-être, encore, Ratchett (possiblement ?) poignardé par tous les voyageurs du train somptueux reliant Istanbul à Londres. Pourrait-on, encore, imaginer Tannhäuser entouré des chevaliers de la Wartburg, à un souffle de la mise à mort, sauvé uniquement par Elisabeth ?
On le peut, tant le parallèle est proche. Il ne s’agit pas, ici, comprenons-nous bien, de légitimer une action de violence, quelle qu’elle soit. Sachons en revanche, entre personnes douées du strict minimum de raison critique, faire la part des choses. Si la prise à partie de deux personnes par un groupe plus nombreux, et donc plus fort, est critiquable, il n’en demeure pas moins un fait parfaitement rationnellement explicable. Lors de la journée du 5 octobre 2015, la direction d’Air France a annoncé la suppression de 2900 postes, 300 de pilotes, 900 de PNC (hôtesses et stewards) et 1700 de personnels au sol, comme il avait déjà été expliqué. Une violence faite à ces 2900 personnes dont les métiers vont être supprimés et donc les vies chamboulées. Certes, j’ose imaginer que celles et ceux, pilotes surtout (ceux qui avaient fait grève l’an dernier pour refuser de travailler autant que leurs collègues non pilotes, soit dit en passant), qui gagnent bien leur vie auront moins de difficultés que les autres à se relever. Il n’empêche. La défense de l’emploi doit se faire, il me semble, sans discrimination basée sur le salaire. S’il est plus urgent de veiller à ce que les personnes aux salaires plus faibles ne soient pas renvoyées (car la situation serait immédiatement intenable, comparée à celle que subiraient celles et ceux ayant plus d’argent) il s’agit d’une différenciation assez inique, car il existerait de bons et mauvais salariés, certains qu’il serait juste d’aider et d’autres non.
Oublions un peu l’égoïsme passé des pilotes qui ont, somme toute, précipité un peu plus leur entreprise à prendre cette décision, passons outre sur leur violence à eux, individualistes, faite à leurs collègues, par un mépris de classe hors du commun. Tentons de dépasser cela. Ou du moins, un fois que nous avons fait ce constat, d’en faire un second.
Que dire de la violence insigne faite à ces près de 3000 salariés ? Que dire de cette massue, de cette masse d’arme, de cette étoile du matin qui s’écrase ainsi sur les têtes de ces milliers de personnes et, par extension, de leur famille ? Oublions-les, les pauvres ne sont pas télégéniques, nos médias veulent des victimes, des vraies, et les victimes ne peuvent être plurielles, elle doivent être individuelles, bien habillées, et sentir bon le thym et le romarin. Et de préférence être en haut de l’échelle ou de la chaîne alimentaire.
L’on se souvient de cette scène de l’excellent Fin de Concession de Pierre Carles, dans laquelle le journaliste montrait à Jean-Luc Mélenchon un extrait d’un journal télévisé, opposant David Pujadas au délégué syndical Xavier Mathieu, le premier exhortant, somme toute, le second, de faire taire les « violences » qui avaient eu lieu en 2009 lors du plan social de Continental. Le parallèle est une évidence, car l’on voit le message que l’on tente de nous faire avaler à l’aide d’un entonnoir idéologique: « L’alguazil, dur au pauvre, au riche s’attendrit. » (Victor Hugo, Ruy Blas).
Les temps n’ont guère changé, l’on préfère légitimer un limogeage massif sous couvert de « réalisme », « pragmatisme » et autre phrases condescendantes comme « c’est ainsi que le monde est fait, il ne faut pas être naïf » tout en s’affolant de voir le juste retour de flamme nous brûler le visage. La physique nous le dit, toute explosion a un double effet kiss cool, un coup ça part, un coup ça revient. Mais dans tous les cas, l’on préférera taper sur les plus démunis, les plus faibles, celles et ceux qui sont déjà à terre, car c’est plus facile, plutôt que de s’en prendre aux élites ultra-protégées. Après tout, étripons-nous, nous les laisserons tranquilles. C’est là que l’on voit où sont les chiens de garde.
Comme toujours, c’est encore Arrêt sur Images qui nous donne la meilleure explication.
Cul-nu
Aujourd’hui, encore, 6 octobre 2015, on a eu le droit à une autre violence, plus « normale » celle-ci, en ceci qu’elle montre la tolérance que l’on a à l’égard du sexisme. (normal ici signifie « dans la norme », bref, la définition, et non « acceptable ». Apprenez à parler, bordel de merde)
France 3, histoire de montrer que la chaîne n’est pas l’apanage des hommes (blancs, hétéros, cis-genres) a décidé de faire un clip publicitaire – qu’il est inutile de montrer tant il est médiocre – afin de montrer à quel point ils sont trop kikoo-lol au service public télévisuel. Las, la vidéo nous montre une enfilade de tâches ménagères non faites, allant de la vaisselle, à la chambre d’un enfant, au repassage, à la sortie du chien, pour finir sur un placard à chaussures (féminines – on le sait car elles sont à talon, les femmes ne pouvant pas, selon France 3, porter autre chose). Puis le message, sur fond de Patrick Juvet, « Elles [les femmes, en référence à la chanson interstellaire de Patoche] sont sur France 3« . Vient ensuite l’autogratification – aussi appelée onanisme autocentré – « La majorité de nos présentateurs sont des présentatrices. » Chose épatante, cependant, avoir une majorité de femmes dans les locaux de France 3 n’empêche pas les responsables communication de pondre autre chose qu’un vulgaire clip dégoulinant de sexisme.
Là encore, une image violente, montrant que, si l’on est une femme, la place est forcément à la maison – ce qui est rappelé par le montage illustrant toutes les tâches ménagères, renforçant un peu plus l’effet culpabilisateur imposé aux femmes. Ainsi, si la femme travaille, elle ne peut entretenir la maison, le linge brûle, menant à Dieu sait quelle catastrophe, le chien va certainement faire sous lui, je n’ose imaginer la flore qui va se développer dans la vaisselle non faite… parce que, comprenons-nous, un homme ne peut pas faire cela. (à croire que nous sommes trop cons… mais comment donc font tous ces célibataires masculins ? Une enquête est à prévoir)
Soyons honnêtes, utiliser des clichés peut – et je dit bien peut – être intelligent quand il s’agit de les déconstruire. Utiliser un cliché par métonymie est une horreur, car il renforce et réaffirme le carcan patriarcal actuel de la société. Une femme ne peut être vue comme un être humain à part entière, il faut toujours qu’elle soit associée à la construction sociale qui fait d’elle une esclave domestique, car c’est exactement la conception que le patriarcat impose, et qui est réaffirmée par cette publicité. On se dit que le féminisme a encore du chemin à accomplir dans les têtes visiblement trop petites de certains avant d’espérer avoir une société vraiment égalitaire.
Bref, des communicants imbéciles, ne pensant que par réflexe conditionné, comme des animaux, des singes dépenaillés sautant çà et là dans leur cage, ont produit l’un des clips les plus humiliants qui soient, en faisant passer un message ouvertement sexistes sous couvert d’une apparente « parité ».
Petit coin de bonheur : le clip a été retiré. Victoire amère, car elle ne change rien, le mal est fait. Espérons que cette claque, cette déculottée que s’est prise France 3 face à l’ampleur des critiques les fera réfléchir à l’avenir.